Accueil / Actualité / CIGPA Dans la presse / valeurs actuelles : Menace néo-ottomane en Méditerranée: les appétits de puissance du néo-Sultan Erdogan

valeurs actuelles : Menace néo-ottomane en Méditerranée: les appétits de puissance du néo-Sultan Erdogan

Publié le

Depuis qu’Erdogan a montré son visage « national-islamiste », l’irrédentisme néo-ottoman, qui masque une convoitise des réserves de gaz et pétrole en Méditerranée, est une menace majeure non plus seulement pour Chypre et la Grèce (Mer Égée), mais aussi pour la Libye, l’Egypte et la Syrie, où Ankara appuie des groupes islamistes/jihadistes, alerte Alexandre del Valle.

Le panislamisme turc “néo-ottoman”, donc irrédentiste et conquérant, s’exprime tantôt de façon pacifique ou “métapolitique”, notamment via le très ambitieux soft power des productions cinématographiques, via l’éducation et la religion (coopérations scolaires, envois de prédicateurs et développement de l’enseignement du turc à travers les lycées et réseaux de mosquées turques), tantôt à travers des projets économiques, tantôt par l’activisme militaire (Chypre, Grèce), le soutien à l’islamisme et au jihadisme (Syrie, Libye). Destiné au monde arabe (appui aux Frères musulmans et pas seulement au Hamas à Gaza), à l’Asie centrale, au Caucase, cet activisme turc s’intensifie dans les Balkans et au sein des minorités turco-musulmanes d’Europe de l’Ouest. En encourageant le démantèlement de l’ex-Yougoslavie dans les années 1990-2000, les pays européens de l’OTAN regretteront d’avoir offert les Balkans musulmans au prosélytisme turco-islamiste, surtout lorsque la Bosnie, l’Albanie, la Macédoine, et surtout le Kosovo, Etat mafieux illégalement créée par l’OTAN en violation de la souveraineté serbo-yougoslave, rentreront dans l’UE…

L’Union européenne et l’OTAN impuissants face à l’occupation de Chypre et aux menaces turques sur les îles grecques de Mer Egée

Depuis 1974, Chypre est victime de partition et d’occupation directe de 37 % du nord de ses territoires par l’armée turque, au mépris de la légalité internationale et des conventions onusiennes. La découverte, ces dernières années, de gigantesques gisements gaziers en Méditerranée orientale n’a fait qu’attiser l’appétit conquérant du prédateur néo-ottoman Erdogan qui a envoyé des navires de forages au large de Chypre. Ce conflit avec Chypre s’inscrit dans celui, plus large, entre la Grèce, berceau de la civilisation occidentale et le nouveau centre névralgique de l’internationale islamo-djihadiste (Turquie) qui rappelle les agressions ottomanes passées et les pirateries barbaresques… En mai 2018, le néo-sultan a menacé la Grèce d’une invasion des îles de la Mer Égée (grecques), sans que l’Occident ne réagisse. Quelques mois auparavant, il a envoyé un pavillon militaire turc menacer des installations de forage gazier et pétrolier de la compagnie italienne ENI (et indirectement de celles de la française Total) à Chypre. Libye, Syrie, Egypte: l’internationale islamiste et jihadiste sous parrainage turc…

Pour couvrir son acte de piratage d’un semblant de “légalité”, l’autocrate turc s’est empressé, fin novembre 2020, de signer avec le gouvernement dit d’union nationale libyen (GNA) de Fayez al-Sarraj, un accord controversé de délimitation maritime dans l’optique de faire valoir ses “droits” sur de vastes zones en Méditerranée orientale. En faisant voter, début janvier 2020, par le parlement turc une motion l’autorisant à envoyer des militaires en Libye, Erdogan a franchi une étape supérieure vers une escalade armée qui risque d’embraser toute la région, à commencer par les pays frontaliers (Egypte, Algérie, Tunisie, Soudan, Tchad, Niger). Comme au début de la crise syrienne, Erdogan, avec le soutien financier et logistique du Qatar, a fait transférer en territoire libyen ses armées qui opéraient en Syrie et en Irak, aux côtés de milliers de « rebelles » islamistes et même terroristes de Daech, Al-Qaïda, Al-Nosra et autres légions turkmènes ottomanistes comme les brigades Sultan Mourad… Plusieurs milliers de jihadistes syriens sont déjà arrivés en Libye.

Avec le Qatar, la Turquie est le pays qui a le plus activement contribué à la destruction de la Syrie et ce de quatre manières : en étant le parrain de l’organisation criminelle des Frères musulmans qui voulait prendre le pouvoir en Syrie, en livrant des armes aux différentes factions islamistes, en intervenant directement et militairement dans le conflit syrien, en organisant, à partir de ses frontières avec la Syrie, le recrutement et le transfert de milliers de terroristes djihadistes étrangers. L’Etat syrien sorti vainqueur de cette guerre, il ne restait plus à Erdogan qu’à occuper une partie du Nord-Est de la Syrie. L’objectif stratégique d’Ankara est de créer une zone de sécurité, sorte de tampon de 30 km de profondeur s’étirant sur 480 km, de l’Euphrate à la frontière irakienne. Cette zone a pour vocation d’accueillir une partie des 3,6 millions de Syriens réfugiés en Turquie (dont nombre de miliciens islamistes) et doit séparer la frontière turque des territoires conquis par les combattants kurdes qui ont résisté à Daech.

Les relations avec l’Egypte du président Al-Sissi, qui a renversé l’ex-président défunt frère-musulman Morsi, grand allié d’Erdogan, sont tout aussi mauvaises. Ankara abrite désormais toute l’opposition islamiste égyptienne et continue de mener ses actions subversives pour déstabiliser l’Etat égyptien puis soutient les groupes islamistes armés au Nord-Sinaï. En fait, Erdogan ne supporte pas que son pays n’ait pas droit aux réserves de gaz gigantesques découvertes dans les eaux territoriales chypriotes qui rejoignent les eaux territoriales de la Grèce et de l’Égypte, avec lesquelles Chypre a conclu un accord tripartite. En février 2018, une vedette de garde-côtes grecs a été éperonnée et un navire de forage du pétrolier italien ENI a été chassé manu militari par Ankara… Il se rendait au champ gazier égyptien de Zohr. Le porte-hélicoptère Mistral Anouar el Sadate et plusieurs autres bâtiments, dont des sous-marins, ont aussitôt levé l’ancre d’Alexandrie pour défendre Zohr. Les deux plus puissantes marines de Méditerranée orientale, l’Égyptienne et la Turque, se toisent aujourd’hui au large de Chypre et de la Libye, avec tous les risques que l’on peut s’imaginer.

Les trois points faibles de l’Europe et de l’Occident face à la Turquie

Il y a d’abord la question du danger islamo-terroriste qui pèse sur l’Europe. Même s’ils ont mis longtemps avant de le comprendre, les dirigeants européens savent maintenant que le régime turc a tissé des liens étroits avec les grandes organisations terroristes qui sévissent dans le monde, y compris avec Daech. Lors de sa conférence commune à Londres avec Donald Trump, le 3 décembre 2019, le président français Macron a clairement déclaré : « Quand je regarde la Turquie, elle combat maintenant ceux qui ont combattu avec nous (les kurdes), à nos côtés contre l’Etat islamique et parfois les Turcs travaillent avec des intermédiaires de l’EI, C’est un problème et c’est un problème stratégique… L’ennemi commun aujourd’hui ce sont les groupes terroristes et je suis désolé de constater que nous n’avons pas la même définition du terrorisme. »

Le second point faible de l’Europe face à la Turquie est l’immigration clandestine. Malgré les énormes subventions que la Turquie perçoit de l’Union européenne pour surveiller ses frontières, le régime turc menace régulièrement d’ouvrir les vannes du pipeline migratoire pour inonder l’Europe. Erdogan retient près de 4 millions de réfugiés Syriens qu’il peut à tout moment relâcher sur l’Europe.

Le troisième point faible, ce sont les millions de musulmans et de Turcs peu intégrés qui vivent en Allemagne, en France, en Belgique, en Espagne, en Grèce, au Danemark, aux Pays-Bas et qu’Ankara et ses alliés Frères-musulmans voudraient utiliser comme des vecteurs d’irrédentisme turc en Occident… Dans ce contexte, les associations islamistes européennes sont de plus en plus contrôlées par les organisations turques étatiques (Diyanet/DITIB) et paraétatiques et pro-Erdogan (Confréries; Mili Görüs, AKP), ceci parallèlement aux partis politiques communautaristes turcs. Au sein du Conseil français du culte musulman (CFCM), les fédérations islamiques turques sont les plus représentées. L’instrumentalisatioin des musulmans d’Europe est devenu un instrument diplomatique pour Ankara.

Le quatrième point faible de l’Occident est l’appartenance même de la Turquie à l’OTAN. Ankara a 50 ogives nucléaires tactiques américaines abritées dans la base militaire d’Incirlik (Turquie), théoriquement américaine, mais qu’Erdogan entend utiliser comme atout stratégico-sécuritaire en les prenant en otage… La base d’Incirlik, à 110 km de la Syrie, abrite en effet des bombes thermonucléaires B61, certes utilisées comme moyen de dissuasion vis-à-vis de la Russie et pour prouver l’engagement des États-Unis envers l’OTAN (28 pays dont la Turquie), mais dont le récent rapprochement tactique russo-turc rend illisibles détruit la vocation stratégique initiale. Un véritable cauchemar stratégique pour l’Alliance atlantique et Washington…

En guise de conclusion

Pour réfléchir sur la menace grandissante de la Turquie irrédentiste et “néo-ottomane d’Erdogan” en Méditerranée, le Centre International de Géopolitique et de Prospective Analytique (CIGPA), dirigé par l’intellectuel et ex-ambassadeur franco-tunisien Mezri Haddad, organise un très important colloque, le samedi 29 février 2020, de 14h à 19h, à la Maison de la Chimie, à Paris, en présence notamment de Valérie Boyer, de Mezri Haddad, de ministres grecs et chypriotes, de Frédéric Encel, d’Emmanuel Razavi, du général Pinatel, etc, et de l’auteur de ces lignes. Le thème est plus qu’en adéquation avec le présent article : “La dérive panislamiste et néo-ottomane turque. Chypre, Grèce, Libye, Syrie, Irak, Egypte, les Balkans, l’Europe… Comment l’allié occidental Erdogan est-il devenu une menace globale ?” (programme et inscriptions en suivant ce lien). Il convient de rappeler que le CIGPA a été l’un des premiers think tanks en France — avec l’auteur de ces lignes et Mezri Haddad – à tirer la sonnette d’alarme à propos des ambitions islamo-impérialistes du néo-sultan turc Erdogan et de leur impact négatif sur la stabilité et la paix dans le monde, pas seulement arabo-musulman mais aussi occidental.

Par Alexandre del Valle / Lundi 24 février 2020 valeursactuelles.com

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Top